PROCHE AIDANCE
L’aide médicale à mourir est désormais disponible au Québec depuis 2015. Plus de cinquante ans de discussions ont précédé l’adoption de la Loi sur les soins de fin de vie qui l’autorise. Et le débat se poursuit. Le projet d’extension de cette approche à de nouvelles catégories de maladie ravive certaines tensions.
L’aide à mourir est un sujet délicat. Qui touche des valeurs profondes. Qui suscite des émotions parfois vives. Qui relève d’une décision on ne peut plus personnelle, du moins dans les sociétés occidentales, mais qui regarde également la santé publique.
Certaines personnes y voient une façon de « mourir dans la dignité », quand d’autres n’y voient qu’une forme déguisée de suicide et s’inquiètent d’une « mort à la carte ».
On parle beaucoup d’enjeux éthiques et légaux. Entre juristes, philosophes et professionnels de la santé. À l’occasion, on laisse monter le témoignage vibrant d’une personne malade directement concernée.
Au cœur des échanges : le droit à l’autodétermination de la personne, la trajectoire de fin de vie, ainsi que l’immunité juridique des professionnels de la santé et le dilemme moral que représente leur participation à un acte qui entraîne la mort.
Les études sur l’aide médicale à mourir s’inscrivent dans la foulée de ces échanges et se concentrent essentiellement sur la personne malade.
Les personnes proches aidantes, pour leur part, sont invisibles. Elles ne trouvent pas place dans ce tumulte. On les entend peu. On parle peu d’elles. On se préoccupe encore peu de leur présence, de leur engagement et des conséquences qu’elles subissent quand l’être cher choisit d’emprunter cette voie de fin de vie.
Néanmoins, quelques recherches commencent à se pencher sur leur rôle et leurs sentiments, sur ce qu’elles vivent et ce qu’elles ressentent au cours du processus, parfois long et incertain, de l’aide médicale à mourir.
Voici quelques enjeux qui ressortent des études récentes.
L’aide médicale à mourir est strictement balisé par un cadre légal. D’abord, par le Code criminel canadien, puis par la loi québécoise concernant les soins de fin de vie. Tous les termes pour la définir sont donc pesés.
Au Québec, l’aide médicale à mourir est considérée comme un soin de santé, une intervention médicale pour soulager une personne en fin de vie. Le recours à l’aide médicale à mourir n’apparait donc pas sur le certificat de décès, car c’est la maladie qui en est reconnue comme la cause.
Demander l'aide médicale à mourir relève uniquement de la personne malade. Les critères d’admissibilité sont très stricts et le protocole médical est précis et rigoureux. Les personnes proches aidantes n'ont pas leur mot à dire dans la démarche, bien que leur implication soit de plus en plus recherchée. La décision ultime reste toutefois une décision personnelle, celle de la personne malade.
Le Code criminel reconnaît certes le droit aux personnes proches aidantes d’aider, le cas échéant, la personne autorisée à s’administrer « une substance qui cause sa mort », selon le protocole d’aide médicale à mourir[1]. Toutefois, elles n’ont pas voix au chapitre. Leur avis n’est pas pris en compte. En matière d’aide médicale à mourir, leur consentement ne peut se substituer à celui de la personne malade, même en cas d’inaptitude, contrairement à ce que le Code civil du Québec (art. 11 et suivants) leur autorise quant au refus de soins dans certaines situations[2]. Des études récentes confortent d’ailleurs cette position. Il semble en effet que les personnes proches aidantes n’anticipent pas toujours exactement ce que serait la décision de la personne aidée en matière d’aide médicale à mourir[3]. Ce qui donne à réfléchir.
Les interventions des personnes proches aidantes doivent s’inscrire dans ce cadre légal. Tout comme celles des autres parties impliquées. Agir à l’extérieur de ce cadre, c’est s’exposer à des sanctions, voire de lourdes sanctions pénales. Même si la cause semble noble et les motifs recevables. Le refus des professionnels de la santé d’acquiescer à une demande d’aide médicale à mourir, un protocole qui semble s’éterniser ou les pressions exercées par la personne gravement malade ne constituent pas des motifs admissibles pour assister même passivement le suicide de l’être cher. Le Code criminel prévoit à cet effet une peine maximale de 14 ans de prison.
Sans surprise, la décision de demander l’aide médicale à mourir ne fait pas nécessairement l’unanimité auprès des personnes proches aidantes. Plusieurs facteurs dont la religiosité, l’âge, le lien socioaffectif entre la personne aidante et la personne aidée (filiation, conjugalité, amitié, etc.) ou la trajectoire de la maladie influencent leur niveau d’acceptation de ce type de soin de fin de vie[4].
Par exemple, dans la perspective d’une extension de l’aide médicale à mourir aux personnes en situation d’inaptitude, une étude québécoise montre que 68% des personnes proches aidantes seraient favorables à une telle extension pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé (avec encore quelques années de vie devant elle). Ce pourcentage d’appui grimpe à 91% si la personne serait en fin de vie[5]. Pour sa part, une étude américaine plus ancienne (Oregon, 2006) indique que si 51% des personnes proches aidantes de personnes atteintes d’un cancer avancé appuient l’aide médicale à mourir et acceptent l’idée que l’être cher la demande, 30% s’opposent à cette option et affirment même s’opposer à soutenir l’être cher dans une telle démarche[6].
La mort demeure un sujet tabou. Choisir de mourir bouscule des valeurs fondamentales de nos sociétés occidentales. Parce que ce choix s’inscrit dans un processus de fin de vie, on s’inquiète beaucoup de l’aptitude de la personne malade à faire un choix éclairé et autonome.
Il y a comme un air de suspicion qui plane sur l’aide médicale à mourir. Et plus encore quand il est question de son extension aux personnes en situation d’inaptitude. On craint l’opportunisme de personnes mal intentionnées, le conflit d’intérêt et les abus, notamment financiers[7].
Certaines personnes proches aidantes se retrouvent ainsi sur la défensive. Se sentent obligées de se justifier. Elles craignent d’être blâmées pour le choix de l’être cher. Elles redoutent qu’on leur reproche de ne pas avoir assez insisté auprès de ce dernier pour rester en vie. Parce que cette décision les accommode. Parce qu’elle leur enlève un fardeau. Non seulement doivent-elles gérer leurs propres dilemmes moraux et vivre leur propre deuil, mais elles doivent composer avec cette pression sociale. Et la culpabilité. Celle de ne pas en avoir fait assez.
De plus, il revient souvent aux personnes proches aidantes d’expliquer, voire de justifier, le choix de l’aide médicale à mourir et de renseigner sur le protocole qui a été suivi. Une tâche souvent délicate et pour laquelle elles ne sont pas toujours aptes, n’ont pas toujours les réponses.
Une étude récente suggère que l’aide médicale à mourir jouit peut-être d’une plus grande acceptabilité sociale au Québec[8]. Par conséquent, les personnes proches aidantes s’y sentiraient moins stigmatisées, rencontreraient plus d’ouverture et de saine curiosité de la part des autres. Mais cette piste nécessite d’autres études en profondeur.
La mort suscite la crainte. On hésite parfois à l’évoquer de peur de la provoquer, qu’elle advienne par le seul fait de son évocation. On évite donc d’en parler. Souvent. Même avec les personnes qui nous sont chers.
C’est pourtant une bonne façon d’apprivoiser son deuil, tant pour la personne qui reçoit l’aide médicale à mourir que pour celles qui l’accompagnent. Le dialogue renforce le sentiment d’efficacité personnel des personnes proches aidantes en leur permettant de connaître à l’avance les soins personnels et de santé que la personne aidée aimerait recevoir si elle venait à ne plus pouvoir s’exprimer. Il leur permet également de mieux saisir les niveaux de douleur de l’être cher et les motivations à demander l’aide médicale à mourir. Il harmonise les valeurs des personnes impliquées et précise les intentions et les perspectives de chacune d’entre elles[9]. Pour ce faire, la planification préalable des soins semble une belle avenue[10].
Les personnes proches aidantes n’ont pas toutes la même aisance avec la mort et ne sont pas toujours d’accord avec la décision de demander l’aide médicale à mourir. Par conséquent, il peut leur paraître difficile de s’impliquer dans le processus.
Néanmoins, les études tendent à démontrer que plus une personne s’implique dans le processus, moins elle se sent isolée et moins elle rencontre de complications lors de son deuil[11].
Si, à première vue, la planification de la mort peut paraître un soulagement pour les personnes proches aidantes, ce n’est pas le cas pour tous et toutes. Le deuil reste une expérience personnelle qui se vit de façons très différentes. Certes, le deuil que provoque chez les proches la mort subite (accidentelle ou volontaire) d’une personne se distingue de celui que provoque la mort planifiée au terme de soins médicaux. D’ailleurs, les premières études ne notent aucunes différences significatives entre le deuil qui s’inscrit à la suite de soins palliatifs ou d’aide médicale à mourir.
Les études qui se multiplient sur la proche aidance et le processus d’aide médicale à mourir s’entendent toutes sur la nécessité d’améliorer le soutien des personnes proches aidantes[12]. Soutien psychosocial, certes, mais aussi soutien sur le plan des communications.
Les personnes proches aidantes sont partie intégrante d’un processus d’aide médical à mourir qui, au-delà du strict protocole médical, doit s’ouvrir aux dimensions relationnelles et socio-affectives dans lesquelles il s’inscrit. Le processus d’aide médicale à mourir se vit rarement seul.
Les personnes proches aidantes ont également leurs propres besoins. Les politiques et les directives doivent en tenir compte. Le travail mené dans le secteur des soins palliatifs constitue une bonne base de réflexion.
L’unanimité est loin d’être acquise. De nouvelles études sont en cours pour mieux cerner les enjeux que représentent pour les personnes proches aidantes le recours à l’aide médicale à mourir par l’être cher.
par François MELANÇON
◊ Synthèse graphique : 7 enjeux de l'aide médicale à mourir
⇒ Séance d'information : Comprendre l'aide médicale à mourir et ses enjeux (23 janvier 2024)
[1] Notons toutefois que le gouvernement québécois n’a pas retenu cette option.
[2] Les experts s’entendent sur l’idée qu’aucun proche ne peut substituer son jugement et sa décision à celle de la personne malade en matière d’aide médicale à mourir. Il ne peut, au mieux, que servir de « courroie de transmission des volontés exprimées par [cette] personne ». Nicole Filion, Jocelyn Maclure et Naïma Hamrouni, coord., L’aide médicale à mourir pour les personnes en situation d’inaptitude : le juste équilibre entre le droit à l’autodétermination, la compassion et la prudence (Rapport du Groupe d’experts sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir), [Québec], Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2019, p. 116 et suivantes. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2019/19-828-04W.pdf. Sur le consentement substitué, lire « L’exercice du consentement substitué », dans Vos droits en santé [en ligne], http://www.vosdroitsensante.com/1821/l-exercice-du-consentement-substitue (page consultée le 16 août 2022).
[3] Gina Bravo et al., « Effects of Advance Care Planning on Confidence in Surrogates’ Ability to Make Healthcare Decisions Consistent with Older Adults’ Wishes: Findings from a Randomized Controlled Trial », Patient Education and Counseling, vol. 101, nᵒ 7 (juillet 2018): 1256‑61, https://doi.org/10.1016/j.pec.2018.02.005 ; Rachel Goldberg et al., « Impact of Medical Assistance in Dying (MAiD) on Family Caregivers », BMJ Supportive & Palliative Care, vol. 11, no 1 (1 mars 2021): 107‑14, https://doi.org/10.1136/bmjspcare-2018-001686, (publié en ligne, en 2019, p. 5).
[4] Goldberg et al, 2019, p. 4-9.
[5] Gina Bravo et al., « L’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’un trouble neurocognitif majeur : analyse des commentaires de participants à une enquête », Canadian Journal of Bioethics/Revue canadienne de bioéthique, vol. 4 no 2, 2021, p. 37.
[6] Résultats rapportés par Goldberg et al., 2019, p. 5. L’enquête portait sur l’Oregon où l’aide médicale à mourir est légale depuis 1997.
[7] Le Code criminel nourrit en quelque sorte ce climat de suspicion en interdisant aux personnes proches aidantes d’agir en qualité de « témoin indépendant » pour signer et dater la demande d’aide médicale à mourir d’une personne qui en serait incapable; Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 241, paragr. 4 et 5.
[8] Philippe Laperle, Marie Achille, et Deborah Ummel, « To Lose a Loved One by Medical Assistance in Dying or by Natural Death with Palliative Care: A Mixed Methods Comparison of Grief Experiences », OMEGA - Journal of Death and Dying [en ligne], 14 avril 2022, https://doi.org/10.1177/00302228221085191 (page consultée le 17 août 2022).
[9] « Lorsque la préparation à la mort et l’acceptation de son arrivée imminente se font à un rythme similaire entre le mourant et son proche, les deux personnes arrivent mentalement et émotionnellement au même point au moment du décès, ce qui facilite le deuil qui s’amorce, explique le futur psychologue. À l’inverse, si par exemple l’une des deux est dans le déni tandis que l’autre accepte la mort, cela laisse des traces plus sensibles. » Martin Lasalle, « Aide médicale à mourir ou mort naturelle: quelles différences pour le deuil des proches? », UdeMNouvelles, 12 mai 2022, https://nouvelles.umontreal.ca/article/2022/06/01/aide-medicale-a-mourir-ou-mort-naturelle-quelles-differences-pour-le-deuil-des-proches/.
[10] Gina Bravo et al., 2018. Voir aussi Site Planification préalable des soins Canada, 2022, https://www.planificationprealable.ca/ (page consultée le 17 août 2022)
[11] Rachel Goldberg et al., 2019, p. 9-10; Karl Andriessen et al., « Grief After Euthanasia and Physician-Assisted Suicide: A Systematic Review: Crisis », hogrefe, vol. 41, no 4 (2019), https://econtent.hogrefe.com/doi/10.1027/0227-5910/a000630.
[12] Bravo et al., 2021, p. 51.
Bridge C-14
Un réseau d'entraide entre pairs et de soutien communautaire pour les différentes étapes du processus d'aide médicale à mourir. S'adresse tant aux personnes malades qu'aux personnes qui les accompagnent dans cette démarche (site anglophone)
Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQMDM)
Association québécoise qui milite depuis de quinze ans pour la reconnaissance du droit à une aide médicale à mourir au Québec. Elle consacre une page à l'impact du choix de l'aide médicale à mourir sur les personnes proches aidantes. Elle était toutefois en reconstruction en décembre 2023 (cliquez ici)
Mourir dans la Dignité Canada
Site de l'organisme national Mourir dans la Dignité Canada (DWDC), un organisme qui défend les droits de la personne et œuvre à améliorer la qualité de la mort, à protéger les droits de fin de vie et à aider les gens partout au Canada à éviter les souffrances non désirées.